Odile Decq, une architecte sensible et engagée Une femme dans un monde d'hommes
Architecture, design, développement durable, féminisme... Odile Decq nous parle ici de son coeur de métier et de sa détermination... sans faille.
Quelle est votre vision du design aujourd'hui ?
Odile Decq : Au début, quand j'ai commencé à travailler sur le design, c'était toujours en rapport avec des projets d'architecture pour lesquels je devais faire quelque chose en plus, comme dessiner le mobilier par exemple. Maintenant, on commence à faire appel à moi pour créer des objets de design déconnectés d'un projet architectural particulier. Quelque part, ça veut donc dire que j'ai une certaine reconnaissance dans le design. Mais le design m'a beaucoup intimidée au début parce que ça signifiait changer d'échelle et que le changement d'échelle n'est pas simple. J'ai eu cet effet en particulier pour le premier fauteuil que j'ai dessiné, lorsqu'on m'a apporté son prototype : c'était le premier objet dans lequel mon corps ne rentrait pas, sur lequel je pouvais m'installer et qui était plus petit que moi. Un bâtiment, un espace, c'est toujours plus grand que soi. Il a donc fallu que je m'adapte à la vision que j'avais dessinée, même si les mesures que j'avais données étaient les bonnes, car j'étais persuadée que c'était trop petit, à l'époque. Aujourd'hui, je travaille sur de tout petits objets, comme des couverts pour Alessi. Ce qui m'intéresse, c'est que l'objet dessiné soit parfaitement adapté à la fonction qu'il va remplir. C'est fondamental mais pas si simple que ça. En même temps, l'objet doit être aussi un peu décalé et non pas une redite de ce qui a déjà été fait. Dans le processus créatif du design, c'est à partir de ces préoccupations-là que je me demande de quoi j'aurais envie et ce que je voudrais faire.
Allez-vous créer d'autres pièces de mobilier ou objets pour le grand public, en association avec une marque, un éditeur ?
O. D. : J'avais déjà dessiné, lors du projet MACRo (Musée d'art contemporain de Rome), des poignées de portes. Plus récemment, pour Alessi, on m'a d'abord demandé un plateau qui sera présenté en septembre à Maison&Objet, puis des couverts, des corbeilles à fruits et à pain, des verres, des assiettes qui vont être mis en résine en attendant que l'on mette au point la collection.
En tant que femme, quelle est votre vision du milieu de l'architecture, plutôt masculin ?
O. D. : Totalement masculin ! Il faut d'abord avoir beaucoup de détermination. Une détermination sans faille, avec un objectif. Et ne jamais lâcher ! C'est difficile au début car vous recevez des réactions de clients d'abord surpris de vous découvrir en tant qu'architecte et qui vous demandent pourquoi vous n'êtes pas allée travailler "chez un monsieur", comme on m'a dit. Ensuite, vous vous retrouvez sur un chantier avec des ingénieurs qui considèrent que vous ne savez rien par principe car vous êtes une fille et des entreprises qui n'ont de cesse de pointer du doigt vos failles. Face à ça, il n'y a que deux choses à faire : rester déterminée sans lâcher et quand on ne sait pas, le dire, pour qu'on nous explique les choses. C'est ce que j'ai fait dès le début et ce qui m'a aussi permis d'apprendre ce que j'ignorais pour compléter ma formation. Lorsqu'on sort de l'école d'architecte, on passe encore 5 à 10 ans à se former sur le tas. J'ai gagné petit à petit le respect des gens, des entreprises et des ingénieurs. Je me suis passionnée pour la technique : j'aime construire et fabriquer les choses. Les clients sont ensuite venus avec le temps.
O. D. : Ma formation date des années 1970 où il était déjà question d'architecture bioclimatique. Donc, pour moi, c'est naturel et normal ! Aujourd'hui, le bioclimatique, le HQE, tout ça, c'est de la technique et ce n'est pas un sujet de discussion intéressant dans le sens où ça ne définit pas les critères architecturaux d'un bâtiment. L'architecture est au-dessus et englobe la technique. Je suis d'ailleurs assez énervée qu'en France, on pense l'écologie comme une technique obligatoire, imposée par une loi entraînant trous et contradictions dans les bâtiments. Alors que depuis des années, dans des pays comme l'Allemagne, l'Autriche et les pays du Nord, on pense l'écologie de façon simple et naturelle. Presque comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir. Je fais donc de l'architecture bioclimatique parce que je l'ai appris lors de mes études : l'orientation d'un bâtiment, la façon de le protéger de la luminosité, du soleil... tout ça me paraît évident et je me suis toujours préoccupée de ce genre de choses. Tout d'un coup, on a redécouvert ça il y a quelques années et on a légiféré là-dessus : c'est une usine à gaz extrêmement contraignante pour tout le monde, architectes, consommateurs, promoteurs. Ce n'est pas bien pensé, je le dis clairement !