À la rencontre de Romain Duris, l'artiste au coup de crayon Féroce

Jusqu'au 11 janvier 2020, l'acteur expose ses talents de dessinateur à qui voudra bien les découvrir et ça se passe à la Galerie Cinéma, à Paris. Rencontré à cette occasion, Romain Duris s'est confié sur son processus créatif, le rapport qu'il entretient avec ses dessins et ses projets. Tête-à-tête.

À la rencontre de Romain Duris, l'artiste au coup de crayon Féroce
© Julie Guillermet/Journal des Femmes

Élève de la prestigieuse école Duperré à Paris, Romain Duris comptait bien embrasser une carrière de dessinateur mais c'était sans compter sur le 7ème art qui lui est tombé dessus, un peu par hasard. Après Pulp, l'acteur dévoile à nouveau ses dessins, des œuvres cette fois-ci plus personnelles, où le trait de crayon en noir et blanc est plus brut. Une façon de se mettre à nu, à travers des personnages imaginaires et un autoportrait puissant, produit en lithographie et en édition limitée à 100 exemplaires par le site de vente d'œuvres d'art contemporain en ligne, Artsper. Un objet du désir, matière à convoitise, signé de la main de Romain Duris, l'artiste. 

dessin-feroce-romain-duris
L'autoportrait de Romain Duris, produit en lithographie et limité à 100 exemplaires numérotés et vendus en exclusivité sur Artsper à 350 euros © Romain Duris

Journal des Femmes : D'où vous vient cette passion pour le dessin ? Est-ce un talent qui vous a été transmis ? 
Romain Duris
: Mon grand-père faisait de la peinture et tous les arts étaient les bienvenus dans ma famille. Il y avait une certaine ouverture d'esprit, une curiosité et une tolérance. Dès que j'ai commencé à faire des dessins, ma mère les a gardés et je me suis donc senti en confiance. Le dessin a très tôt été une activité pratique, confortable et solitaire. Au début de l'adolescence, c'est devenu un besoin, en réaction à l'autorité, c'était pour moi une façon de dire non et d'exister. 

Il y a deux ans, vous dévoiliez vos œuvres au regard du public pour la première fois avec Pulp. Est-ce que l'accueil réservé à vos dessins vous a donné confiance ou est-ce encore source d'inquiétude ?
Romain Duris : Il y a toujours de l'appréhension. Par contre, ça m'a donné confiance dans la fabrication d'un livre et d'une exposition, dont je connais maintenant le cheminement, les contraintes et les obstacles. Le fait que ça puisse intéresser, plaire et toucher personnellement m'a donné une confiance folle et m'a rassuré. 

livre-feroce-romain-duris
Livre Féroce contenant les dessins de Romain Duris © Editions Noeve Paris

Cette nouvelle exposition répond-elle à une envie ou un besoin, ou les deux ?
Romain Duris
: Le livre est un besoin (de ranger, de trier et de faire un objet) parce qu'il contient beaucoup de cette période et c'est quelque chose que l'on peut garder. Et l'exposition est plus une envie. Les deux se complètent assez bien du coup. 

Comment sont nés les dessins de ce nouveau livre ? Et pourquoi l'avoir baptisé Féroce ?
Romain Duris
: Les dessins sont nés par besoin, par le choix de l'outil aussi, ce crayon qui peut être très doux mais aussi très dur, noir et parfois transparent, j'adore ces contrastes là ! Comme dans Pulp, je cherchais quelque chose qui tourne autour du corps et de l'humain, de la chair. J'ai d'abord pensé à Espèce puis j'ai entendu Féroce dans la bouche de quelqu'un et ça a fait sens. Ce n'est pas tant la cruauté ou la méchanceté mais plutôt le côté animal bestial, tantôt puissant tantôt fragile, qui m'a plu dans ce mot. Je suis très content de mon titre ! 

Comment s'est opérée la sélection de dessins pour le livre et l'exposition ? 
Romain Duris
: Pour ce nouveau livre, j'ai eu la chance de pouvoir travailler à nouveau avec Agnès Dahan, la graphiste qui m'avait accompagnée sur Pulp et avec laquelle je m'entends très bien artistiquement. Au départ, il y avait 250 dessins et on en a gardé environ 180, ça s'est fait assez naturellement, par séries, par moments et par goûts aussi, pour donner vie à un objet un peu brut avec beaucoup d'images. Concernant l'exposition, la sélection a été un peu plus ardue dans le sens où il n'a fallu en garder que 36. 

Vous concluez la préface du livre par "Demain est un autre juge", qu'est-ce que cela signifie concrètement ? 
Romain Duris
: Je parle ici d'un jugement personnel. J'associe ça à une pensée, quelque chose de très très fort, qui nous traverse la nuit par exemple, on va se réveiller pour la noter, persuadé d'avoir une idée géniale - sans avoir pris des substances (rires). Et le lendemain au réveil, on la relit et on se rend compte que c'est bidon en fait ! Pour le dessin c'est un peu pareil. 

On sent que vous avez un attachement certain à la Galerie Cinéma d'Anne-Dominique Toussaint, comment l'expliquez-vous ?
Romain Duris
: Je m'y sens bien, alors pourquoi changer ? Ce n'est pas une galerie qui se la raconte, où l'on veut de l'art et où l'on rentre en chuchotant (rires)

Derrière l'affirmation et l'acceptation du corps en noir et blanc, on ressent aussi de la douleur...
Romain Duris
: (il coupe) Ah, ma mère dit la même chose ! 

Est-ce une façon d'exprimer ou d'exorciser certaines de vos émotions ? 
Romain Duris
: Sûrement mais je n'associe pas ça à la douleur, moi. Je trouve qu'il y a de la pudeur et ce sont des êtres qui ont besoin d'un regard sur eux, d'être aimés. 

Pour donner vie à ces personnages justement, est-ce que vous êtes partis de modèles, de souvenirs ou sont-ils pure imagination ?
Romain Duris
: Je n'ai pas de modèles mais il faudrait peut-être que je m'y colle ! Ce sont des souvenirs de l'époque où je dessinais d'après modèles mais je m'en libère et c'est vraiment dans ma tête. Il y a certains dessins pour lesquels j'ai une idée assez précise dès le départ et d'autres, je ne sais pas toujours ce que ça va donner et j'adore ça ! 

dessin-feroce-romain-duris
© Romain Duris

Qu'est-ce que le dessin vous apporte ?
Romain Duris
: Quand je dessine, ce n'est pas calme et pourtant ça me calme... Ça m'apporte une confiance en ma solitude, ça m'aide à être seul après avoir été très entouré, lors des tournages au cinéma. Se retrouver devant une page blanche et arriver à libérer une émotion sans prêter attention à la valeur du dessin, c'est quelque chose qui me remplit. 

J'ai remarqué que vous ne signez pas vos dessins, pourquoi ?
Romain Duris
: J'ai une signature qui n'est pas discrète et jamais je ne me suis dit que j'allais exposer. Pourtant, on a le projet de signer ceux exposés au dos, comme une attention personnalisée, une dédicace pour chaque potentiel client. En revanche, je me suis appliqué à signer les 100 lithographies vendues sur Artsper, sans me foutre de la gueule de celui ou celle qui l'achèterait (rires)

Quel(s) rapport(s) entretenez-vous avec vos dessins ?
Romain Duris
: C'est dur de les laisser partir, pas parce que je me la raconte et que je les trouve sublimes, j'ai juste du mal à m'en séparer. C'est un combat avec la galeriste qui veut absolument en vendre un maximum (rires) alors que moi ça me brise le cœur... Mais je peux pas vous dire pourquoi, ce n'est pas comme si je les exposais chez moi, je ne suis pas vraiment à l'aise avec cette idée. C'est aussi pour ça que je fais des livres, qui resteront, de façon à toujours avoir une copie de mon dessin même si l'original n'est plus là. 

Est-ce une façon de reprendre le contrôle, à la différence des personnages que vous interprétez au cinéma ? 
Romain Duris
: Reprendre le contrôle de moi-même, oui ! Et d'une espèce de réalité qui me rassure, même si le temps passe très vite quand je dessine.

Où puisez-vous l'inspiration ?
Romain Duris
: Ça c'est une bonne question... Pour Féroce, je ne sais pas trop, c'est dommage hein (rires). Puisque tout s'est passé sur une courte période d'un an et demi, je savais que j'aimais bien être traversé par cette idée du corps, des bouts de corps, des corps qui s’enlacent qui se bagarrent, en crise, amoureux. Mais les artistes que j'aime, comme Rodin, ils sont à l'intérieur de moi, ils sont là (il montre son cœur) et je n'y pense pas tout le temps.  

Est-ce que vous dessinez tous les jours ?
Romain Duris
: Dans ces moments-là, hors tournage, oui mais ce n'est pas tout le temps le cas. Ça ne vient pas comme ça en claquant des doigts, il y a des moments où on se pose trop de questions, d'autres où on n'a pas d'idée, c'est compliqué à organiser et ça demande souvent du temps. 

Avez-vous peur de la feuille blanche ?
Romain Duris
: Oui mais ce n'est pas si grave. C'est comme un trou au théâtre, quand on l'a déjà eu, on n'en a plus peur. La page blanche c'est chiant parce que ça nous plonge dans une remise en cause un peu bizarre mais la semaine d'après, ça revient on est rassuré. Il faut parvenir à se détendre par rapport à tout ça. Aussi, j'ai le luxe de ne pas avoir d'échéance. Quand on a évoqué l'exposition, les dessins étaient déjà là. 

La chose que vous aimez le plus dessiner et, à l'inverse celle qui vous donne du fil à retordre ?
Romain Duris
: Les corps en général et là, c'est la couleur qui m'a posé problème. J'ai eu envie d'y revenir mais toutes les petites tentatives que j'ai faites pendant Féroce n'ont pas marché.

Est-ce qu'il y a beaucoup de ratés ?  
Romain Duris
: Pas tant que ça, il y en a qui ne sont pas sélectionnés, parce qu'ils sont ratés, peut-être. Je travaille dans des carnets de croquis et je n'arrache pas les pages, ou rarement. J'ai plutôt tendance à revenir sur les images qui ne me plaisent pas pour qu'elles soient toutes dignes de figurer dans ces carnets. Tous les quinze jours, j'en reprends certains pour qu'ils ne finissent pas à la poubelle.  

Quand savez-vous qu'un dessin est terminé ?
Romain Duris
: Quand il ne m'énerve plus, c'est qu'il est fini ! Quand je le fais, je l'adore, je me prends pour Van Gogh et  le lendemain je le trouve bidon (rires). Le surlendemain je l'aime un peu plus et je le retravaille jusqu'à ce qu'il ne m'énerve plus du tout. C'est un processus qui peut durer une semaine, dix jours. Et je me suis rendu compte que pour certains dessins, on ne peut pas lutter, on voudrait qu'ils soient mieux mais on reste bloqué dans ce qu'on a dessiné et ce n'est pas la peine, alors on s'avoue vaincu, il n'est pas bien et il a gagné. 

Où dessinez-vous ? Avez-vous un espace dédié au dessin chez vous ? 
Romain Duris : J'ai un lieu extérieur à mon appartement, une sorte d'atelier. 

D'autres techniques que vous aimeriez explorer ? 
Romain Duris : Oui, la peinture ! Avant de mourir, je veux absolument avoir fait une belle période de peinture à l'huile, je ne sais pas ce qui en ressortira mais je veux me confronter à cette technique qui est balaise. Jusqu'à maintenant, les couleurs se mélangent et c'est dégueulasse (rires). C'est poubelle direct, ça met quatre jours à sécher, bref je ne maîtrise pas du tout. 

Dessin, théâtre, cinéma, danse, musique… Quel autre art majeur aimeriez-vous maîtriser ?
Romain Duris
: La sculpture ! Enfin je ne maîtrise pas la danse, j'ai dansé dans certains films, je danse la nuit mais je ne suis pas danseur. J'aimerais beaucoup réaliser un film aussi. 

"Féroce par Romain Duris"

Est-ce qu'il y a des choses qui vous ont mis en péril lorsque vous étiez plus jeune et qui ne le font plus aujourd'hui ? 
Romain Duris : Quand on est jeune, on s'en fout de mourir, plus qu'aujourd'hui. 

Votre auberge espagnole à vous, c'est quand ? 
Romain Duris : Les vacances ! 

Et après, que peut-on vous souhaiter ? 
Romain Duris : D'être inspiré, de rêver, d'aimer ! Et à vous aussi, je vous le souhaite (rires) !

  • Quoi ? L'exposition "Féroce" de Romain Duris 
  • Quand ? Du 15 novembre au 11 janvier 2020, du mardi au samedi de 11h à 19h
  • Où ? A la Galerie Cinéma Anne-Dominique Toussaint : 26 rue Saint-Claude, 75003 Paris
  • Sites galerie-cinema.com / www.artsper.com