Le Nid de l'aigle
Interview d'André Stern, architecte de la villa du Nid de l'aigle
Comment avez-vous été amené à réaliser la villa du Nid de l'aigle ?
Javais la villa mitoyenne qui sappelait Mandala et il y avait un très beau terrain au-dessus. J'ai donc recherché les propriétaires. Jai trouvé une succession difficile. Avec beaucoup de patience, jai retrouvé toutes les personnes qui étaient concernées par cette opération familiale, et jai fait une proposition qui a été acceptée. Puisque l'on est dans un périmètre sensible vis-à-vis de Notre Dame de la Garde, de lautre côté de la faille (lancienne carrière qui a été créée pour permettre davoir un passage en bas), jai dû déposer un permis qui a été accepté par l'architecte des bâtiments de France. Mais la maison est très intégrée au paysage. Quand vous regardez léchelle de la faille par rapport à la maison, qui na quun niveau dapparent, je dirais que, dans le paysage, cest simplement un détail architectural.
La maison, la plus haute de Marseille, n'est accessible qu'après un escalier de 230 marches. Comment avez-vous contourné les difficultés du terrain et comment les travaux se sont-ils déroulés ?
Je fais partie des architectes qui habillent sur mesure, je suis un tailleur de terrain. Il y a des professionnels qui rasent pour construire leur ego dessus, moi jessaie dhabiller, de mintégrer et de participer. Surtout dans un projet comme celui-là qui est très minéral, viscéral. Cest un projet très attaché car il y a un rocher qui a une proportion très importante par rapport à la construction.
Ce fut aussi un chantier difficile puisqu'il y a plus de 230 marches à monter. Donc, toute la volonté architecturale que jai mise en place est que 2 hommes puissent porter les éléments préfabriqués. Bien entendu, des solutions innovantes ont été trouvées. Par exemple, vous avez des chauffages avec des films graphités, comme on le fait dans les satellites. Vous avez aussi, pour la partie de la charpente et de la toiture, des poutres en lamellé-collé qui peuvent être transportées par deux hommes. Et pour la structure proprement dite, des éléments très légers en béton allégé, le Ciporex, ont permis disoler sans avoir à couler du béton. Il y a peu de béton dans cette maison.
Comment avez-vous envisagé la villa ? Comment avez-vous travaillé la lumière dans l'architecture de la maison ?
La maison est dessinée sur un ancien dessin indien qui date du XVIe siècle, un Mandala. Il fait participer les proportions de larchitecture et de la lumière dans des rapports harmonieux. Le Mandala est la représentation du monde à la fois en unité et à la fois dans son détail, puisque cest un élément qui sert pour la méditation bouddhiste. Jai de très beaux dessins qui créent des grilles de proportions. Je les ai appliquées dune façon intellectuelle, voire ésotérique, sur le terrain. Elles mont permis de donner toutes les proportions à la maison ainsi que le rapport entre la lumière intérieure et la lumière extérieure.
Il y a dans la pièce principale un immense escalier central. Que signifie-t-il ?
Cest à la fois un escalier et une participation verticale à la lumière, qui peut le traverser de telle façon quil ny ait justement pas de zones où la lumière sarrête de pénétrer. On a même des arbres, des hévéas, qui sont plantés en partie centrale directement dans le sol et qui existent toujours 20 ans après.
Les pièces à vivre, spacieuses et lumineuses, contrastent avec les chambres du bas, plutôt petites et sans grande fenêtre. Comment avez-vous envisagé l'habitation de la maison ?
Pour les chambres du bas, cest la même démarche qui a prévalu. D'abord, elles donnent toutes sur le soleil levant à lest sur le patio grec. Elles ont chacune leur hublot et leur lumière, mais elles sont faites de façon bateau pour obliger les enfants (puisque javais 4 enfants qui vivaient là), à participer à la vie sociale des parties communes et que chacun ne senferme pas dans sa chambre, sans participer, sans échanger. C'était pour leur apprendre la sociabilité dune famille.
L'esprit contemporain se lit dans l'architecture de la villa, et notamment dans le salon d'hiver, où se trouve une grande cheminée en fonte. Quels aspects de l'architecture moderne vous inspirent le plus ?
La cheminée se trouve être dans le Larousse, à la définition "cheminée contemporaine". Vous avez la lumière, le vide et, en symbolique, vous avez cette cheminée centrale suspendue, qui est accessible de tous les côtés et qui fonctionne parfaitement.
Pour moi, moderne cela ne veut rien dire. Aujourdhui, on adore tout ce qui a été fait à lépoque par Ludwig Mies van der Rohe, Le Corbusier et compagnie. Cest contemporain. Jai une vision de larchitecture qui reste vivante et qui permet de passer le temps. Je pense que quand on fait notre métier darchitecte, ce qui est important, ce nest pas toujours le volume architectural mais les vides architecturaux que lon crée. On vit dans les vides, on ne vit pas dans les pleins.
Par cette villa, avez-vous cherché à construire la maison de vos rêves ?
Cétait une folie darchitecte. Au XIXe siècle, on faisait les Folies, jai fait ma folie. Jai mis deux ans pour la faire, puisque le lieu était difficile. Et jen fais une nouvelle actuellement, au Goudes.
(NB : les Folies étaient des maisons de villégiature construites principalement au XIXe par la bourgeoisie aisée ou l'aristocratie en périphérie des villes. L'appellation a été utilisée pour désigner l'extravagance architecturale d'une résidence).
Vous êtes actuellement chargé de la réhabilitation du château de la Buzine. Quel est ce projet et quels sont vos objectifs dans sa réalisation ?
Actuellement, je fais la réhabilitation du château de la Buzine qui va devenir la Cinémathèque méditerranéenne de Marseille et qui est dédiée à Marcel Pagnol. Cest un rapport affectif que jai eu avec cet écrivain et jai voulu absolument ce chantier.
Dans ma jeunesse, jai eu le plaisir de rencontrer plusieurs fois Marcel Pagnol, aussi bien sur le plan culturel que sur le plan physique, puisque jétais ami avec le fils de Fernandel. D'autre part, étant dorigine hongroise, né d'un père juif, je me suis caché avec lui à Marseille. On a vécu pendant deux ans cachés dans la garrigue du côté dAllauch. Quand je lisais Pagnol, je me disais quil avait écrit ces histoires avec mes sensations denfant dans la nature.
Et puis, jai travaillé aux Tuileries de Marseille vers Saint-Henri. Il y avait un canal et je métais fait faire une clef qui me permettait daller depuis chez moi, de la villa que javais à Verduron, jusquà lusine, en traversant les campagnes et en ouvrant les portes le long du canal. Presque comme dans le livre "Le Château de ma mère"... Alors, losrque j'ai entendu parlé de ce chantier, je me suis dit : "il est pour moi".
On était 60 au départ, 6 après et jai eu le privilège de le gagner. Je lai gagné parce que, je pense, cétait un projet dans lequel j'avais mis dans ma poche mon ego darchitecte. Jai essayé davoir le regard de Pagnol et de ne pas faire darchitecture parasite au château. Jai enfoui tout le projet, tout le programme que lon nous a donné, y compris une salle de cinéma (dans laquelle jai même fait un balcon comme on le faisait à Marseille à lépoque) sous terre. Ce qui fait que le château reste dans son entité et je nai pas fait de rajout. Il est déjà assez baroque, il en avait assez pour son histoire, il ne fallait rien rajouter. Je me suis permis juste une coquetterie. Jai fait une surface pour asseoir sa composition et jai appelé ça le vertugadin, parce que c'est un joli terme : cest la partie engazonnée qui descend vers les douves, où lon faisait les fêtes galantes. Lété, on y fera des projections de cinéma à lextérieur.
Informations pratiques
STERN INTERNATIONAL85 bis avenue de la Pointe-Rouge
13008 Marseille
Tel : 04 91 17 61 61
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