Sarah Lavoine : les yeux dans le bleu
La designer d’intérieur signe sa première réalisation d'hôtel. Le Roch a ouvert ses portes cet été au cœur de Paris, avec comme fil conducteur la couleur bleu, chère à la décoratrice. Rencontre.
Le téléphone sonne, elle s'excuse, explique que c'est son directeur de studio qui l'appelle et décroche : "Ouais Florent, je suis en interview… C'est quoi ?... Une table basse… Dans le spa… Ouais, très bien je suis d'accord… Ça marche." En dix-huit secondes, Sarah Lavoine a fait son choix. Juste le temps pour nous de reprendre une gorgée de thé et de remarquer la couleur du vernis de l'architecte d'intérieur : le bleu. Un coloris indissociable de celle qui s'est lancée dans la déco il y a près de 20 ans et qui habille les murs, les coussins, les fauteuils et les accessoires de l'hôtel Le Roch. Ce nouvel établissement 5 étoiles parisien de la Compagnie Hôtelière de Bagatelle a ouvert ses portes l'été dernier au 28 rue Saint-Roch, dans le quartier Saint-Honoré. Dans un écrin de bon goût, huit niveaux, dont deux en sous-sol, abritent 32 chambres, 5 suites, une piscine-hammam, un spa Codage, un bar et un restaurant dont la carte est signée par le doublement étoilé au Michelin, Arnaud Faye. C'est le premier hôtel que signe Sarah Lavoine, qui a auparavant multiplié les projets avec La Redoute, Monoprix, Ressource, Swildens ou Bernardaud et qui inaugurera le 24 octobre prochain un établissement à Tokyo.
Journal Des Femmes : Comment vous êtes-vous retrouvée sur ce projet ?
Sarah Lavoine : Je rêvais de faire un hôtel à Paris et surtout dans mon quartier. Un soir, je dînais avec des amis et leur répétais "Je veux faire un hôtel rue Saint-Roch, je veux faire un hôtel rue Saint-Roch…" Je suis quelqu'un qui croit beaucoup aux signes et dès le lendemain, j'ai reçu un email de Sami Rifaï, le directeur de la Bagatelle, me parlant d'un projet d'hôtel rue Saint-Roch. On s'est rencontrés. Il y a eu un concours, plusieurs personnes ont été approchées, et je l'ai gagné. C'est un projet qui aura mis deux ans environ à aboutir.
Comment l'avez-vous imaginé ?
Comme un endroit intemporel, au chic parisien, un peu dans mon style. Je suis heureuse d'avoir fait cet hôtel parce que c'est vraiment mon quartier, c'est très incarné. J'ai l'école des enfants en face, ma boutique dans la rue. C'est vraiment mon bébé.
Justement, comment définiriez-vous ce fameux "chic parisien" qu'on accole souvent à votre nom et votre style ?
Ce sont des grandes phrases. Mais pour moi, c'est surtout rien d'ostentatoire, une élégance naturelle, quelque chose de pas too much. Simple et libre en même temps.
Et votre lien à ce quartier Saint-Honoré, d'où vient-il ? Entre une statue de votre ancêtre Prince Józef Antoni Poniatowski au Louvre, votre appartement, votre bureau, votre boutique ou l'hôtel Le Roch, tout est ici…
J'ai déménagé 13 fois, mais toujours dans ces trois rues du quartier Saint-Honoré. Ça ne plaît pas toujours aux enfants d'ailleurs (rires). On s'est installés ici avec Marc, mon mari, alors qu'il n'y avait rien, il y a 22 ans. Il n'y avait pas colette, pas Le Costes... Puis on a vu tout le monde arriver. Maintenant, ce quartier est comme notre famille. Et c'est un centre historique merveilleux.
A la maison d'ailleurs, votre mari ou vos enfants ont-ils leur mot à dire sur la déco ?
Roman, mon fils de 9 ans, adore. Ça l'amuse beaucoup. Mes enfants viennent au bureau, ils regardent, commentent : "Hum ça c'est pas très Maison Sarah Lavoine". Ici aussi au Roch, ils m'ont beaucoup aidée à installer. On se sent comme à la maison ici.
Donner de la vie à un lieu, est-ce le plus important ?
Oui ! Pour la bibliothèque de l'hôtel par exemple, j'ai été chiner aux puces, pour donner véritablement de l'âme au lieu. Je n'aime pas du tout les endroits froids. Il faut évidemment que ce soit déco et joli mais je ne fais pas un lieu pour les photos, mais pour y vivre !
Chez vous, ça ressemble à cet hôtel ?
J'aimerais bien (rires) ! Le salon de l'hôtel, oui, ça pourrait être mon salon. Ça ne l'est pas parce que je vis sous les toits, mais en tout cas j'ai pensé l'hôtel comme si c'était chez moi.
Si vous aviez carte blanche pour refaire entièrement un endroit, lequel choisiriez-vous ?
Je n'y ai pas vraiment réfléchi. Tous les palaces ont été refaits à Paris donc il faudra attendre... Pourquoi pas l'Elysée (rires). Mais ils ont d'autres priorités, je pense.
Aimeriez-vous travailler pour le cinéma ou le théâtre, être en charge des décors ?
Je ne l'ai jamais fait, c'est vrai. J'ai failli avec mon amie Amanda Sthers, mais ça ne s'est pas fait. Le cinéma et le théâtre, c'est assez différent je pense. Mais le théâtre, ça pourrait être amusant.
Refaire de télé, comme avec votre émission "design by Sarah Lavoine" sur Odyssée, ça vous plairait ?
J'ai l'impression que les émissions de cuisine ont un peu remplacé celles de déco. J'ai adoré le faire, j'avais des supers équipes et ce n'étaient que des potes. On faisait nous-mêmes les prompteurs, on se marrait bien, on tournait dans des supers lieux. Pourquoi pas le refaire, mais il faut du temps. Et du temps j'en manque beaucoup. Cette semaine, c'était l'enfer ! Rentrée des classes, Maison&Objet, départ en classe verte d'un des petits, départ pour Londres demain de ma fille, les chantiers, la marque, les produits… Je suis en plein développement de la marque et des boutiques.
Depuis vos débuts dans la décoration, le bleu très profond est l'une de vos signatures, et il porte maintenant votre nom. C'est une couleur qui revient énormément en déco après de longues saisons où le pastel était roi. Comment conserver votre style et votre démarcation ?
J'ai jamais été dans les tendances, je suis plus dans l'intemporel et les choses qui durent. Il faut se renouveler, trouver des inspirations et des idées nouvelles, c'est très important. Par exemple, vous avez été à Maison&Objet ?
Oui...
Eh bien, il y a un truc qui m'a fait marrer : il y a des ananas partout ! Avec mes équipes, on partait en fous rires à chaque fois qu'on voyait un ananas. Mais bon c'est super joli un ananas... Plus sérieusement, j'ai ma gamme de peinture qu'on renouvelle régulièrement, mais le bleu Sarah a son identité et est un intemporel. En tout cas, je ne m'en lasse pas !
Vous avez étudié la philosophie, la communication, le théâtre à New York. Si vous n'aviez pas été designer d'intérieur, qu'auriez-vous fait ?
Ecrire des romans. J'aurais adoré cette liberté. Je le faisais très jeune. Jeune, tu es tellement libre, tu peux partir, il n'y a pas de poids. Là, j'ai 25 personnes qui m'attendent au bureau, c'est génial et ça se développe, mais la liberté de l'écrivain, c'est fantastique. Ceux qui en vivent ont une chance inouïe.
Vous souvenez-vous de votre premier projet ?
C'était une maison rue Mouffetard, au fond d'une impasse pour un particulier. Je me suis longtemps occupée que des particuliers. Ce sont des projets comme les restaurants Victoria 1836 ou l'Orient Extrême, à un moment où j'en avais justement envie, qui m'ont éloignée de ce type de chantiers. Là encore les signes…
Votre portrait chinois. Si vous étiez...
Une couleur : mon bleu
Une matière : le velours
Un objet iconique : un miroir
Une fleur ou une plante : la pivoine
Une senteur : la fleur d'oranger
Un lieu : le Grand Palais