Mathias Kiss embrasse la baie de Cannes
Pour le 69e Festival de Cannes, Mathias Kiss a repensé l'espace du Mouton Cadet Wine Bar sur le toit du Palais des Festivals, face à la mer et aux montagnes. Un endroit somptueux dans lequel nous avons rencontré l'artiste-décorateur que tout Paris s'arrache.
Mathias Kiss est à mi-chemin entre l'artiste et le décorateur, le moderne et le baroque. Cette année, le créateur de 43 ans a marqué le Festival de Cannes de son empreinte. Il a signé, invité par la marque de vin Mouton Cadet, un wine bar comme une boîte bijou posée sur le toit du Palais. Une des promesses du lieu : être un endroit de quiétude, un anti-Croisette où les personnes importantes se retrouvent pour discuter à l'abris des regards. Afin de ne pas gêner ces regards justement, Mathias Kiss a parsemé des banquettes beiges sur un sol couleur paille. Pour découper l'espace, il a suspendu quelques rideaux cousus dans le tissu qu'il a signé pour Pierre Frey. Un bananier dans une vieille jarre. Un bar ouvert sur l'extérieur, comme un îlot central. Et surtout ces jeux de miroirs, qui reflètent mer et coucher de soleil à l'heure de l'apéritif, peu importe où l'on se situe dans l'espace. On arrête de décrire les objets, les matériaux : l'homme ne serait pas content. Mathias Kiss est un amoureux du sens plus que du signe.
Le Journal des Femmes : Comment définissez-vous ce lieu ?
Mathias Kiss : Je voulais donner l'impression d'être dans une villa sur les hauteurs avec des références à l'art décoratif du début du XXe siècle et aux maisons néo-modernistes de la côte Ouest des Etats-Unis. Il fallait trouver un équilibre entre la vieille Riviera d'il y a 100 ans et Palm Springs.
Quels matériaux avez-vous utilisés ?
Je me suis attaché à ne pas signifier le mobilier pour qu'il serve de second plan aux silhouettes, aux tenues, à ce qui se passe à l'intérieur. Il a été trouvé, puis réadapté, retapissé. Au niveau des couleurs, rien n'arrête les yeux. S'il y avait un fauteuil rouge, on aurait vu que lui, vous m'auriez demandé de qui il était. On s'en fout. C'est l'ambiance qui m'importe. Le meilleur compliment pour moi, c'est qu'on aime le résultat lumineux plus que l'objet.
Le cinéma vous inspire-t-il ?
Je viens de l'art décoratif donc je m'enrichis des films comme des publicités. Une robe noire sur un fond blanc peut me parler. Je me fais des bases de données avec ce que je vois, ce que j'entends. Particulièrement dans le cinéma. Tous les décors des films de Stanley Kubrick sont dingues par exemple.
Comment décrivez-vous votre style ?
Si on me classe dans l'art contemporain, on va dire que je suis vieillot. Si on me met dans un style baroque, ce que je fais sera très moderne. Ça dépend de quel côté on se place. Je suis toujours trop moderne pour la tradition et trop traditionnel car je travaille l'art décoratif (sourire). Je recherche l'intemporalité.
Quelle est votre conception personnelle du design ?
Le design, c'est éditer un objet qui a une fonction. Ce n'est pas vraiment ce que je fais. Je mets en scène. Mon travail est attaché à la décoration ou à la scénographie.
Quel a été votre parcours ?
J'ai commencé par un apprentissage de peintre vitrier. Puis je suis devenu "peintre en bâtiments" spécialisé dans la feuille d'or, dans la restauration de monuments historiques chez les Compagnons. Je me suis intéressé au trompe-l'œil : faux bois, faux marbres, faux ciels. Mon parcours est une succession de rencontres, d'évolutions. Chaque projet m'interroge, m'apporte des réponses, m'enrichit. Si je n'étais pas passé par la Comédie-française, par notre patrimoine, je n'aurais pas cette lecture.
Qui sont vos maîtres ?
En caricaturant, ce serait Louis XIV et cette tradition de l'art décoratif, du mécénat. Dans le classicisme de l'époque, le roi formait des gens aux beaux arts, au paysagisme. Notre culture existe grâce à cela.
Un lieu que vous rêveriez de repenser ?
Quand je vois le plafond de l'Opéra Garnier, je me dis qu'avant de devenir un petit monsieur ratatiné, j'aimerais me pencher dessus (rire). Mais ça pourrait aussi être une pièce dans un château. En tout cas, quelque chose qui n'est pas interchangeable tous les ans. J'aime m'ancrer dans une histoire, un échange, un parcours. Réaliser un projet qui prend son sens dans le temps, qui sera compris dans le mois, dans l'année ou la décennie. C'est intéressant quand ce n'est pas jetable.
Quelle est votre couleur préférée ?
Tout est beau, ça dépend où. A priori, je n'utiliserais jamais de violet, mais pourquoi pas si ça semble juste pour un projet. Tout est possible. Mon métier, c'est de créer le second plan, de faire exister une personnalité. Il faut s'adapter. La couleur n'a pas d'importance face au besoin du client.
Qu'est-ce qui ne vous quitte jamais pour travailler ?
Ma tête ! Je suis en réflexion permanente. Souvent, j'explique à mes équipes ce que je souhaite et je leur laisse carte blanche pour parvenir au résultat. Ils font comme ils veulent, comme ils peuvent en fonction des contraintes. En revanche, je ne lâche jamais la passion. C'est mon outil.
Quel est le pire faux pas déco ?
Ecouter les références des autres, suivre la tendance. Comme pour les fringues, si vous avez envie de vous balader avec un chapeau rouge parce que vous l'assumez, tout va bien. Si vous le faites parce que c'est la mode, vous aurez l'air bête. Vous voulez un salon violet ? Pour moi, ce sera le comble du mauvais goût, mais ça reste intéressant pour ne pas tomber dans l'uniformité. En déco, on a le droit de se faire plaisir, de changer les choses, de ne pas écouter un professionnel. Il faut afficher sa personnalité.
À quoi ressemble votre salon ?
À mes réalisations, peut-être en plus radical. Il est contemplatif, pour m'aider à me détendre le cerveau. Le problème, c'est que n'importe quelle photo me touche. J'ai en permanence envie d'arracher les pages de magazines pour les agrandir et en faire des tableaux. Et ça me fatigue. Alors pour laisser de la place à tout ça, j'ai besoin d'un cadre intemporel, qui pourrait être la maison de ma grand-mère. Chez moi, c'est encore plus vieillot qu'ici, mais dosé dans un minimalisme qui vous pousse à dire "ce n'est pas une grand-mère qui vit ici. Ou alors elle est un peu sexy" (rire).