"Invention/Design. Regards croisés", une expo entre design contemporain et histoire des inventions
Pour le Musée des arts et métiers, le duo Sismo Design, composé d'Antoine Fenoglio et Frédéric Lecourt, s'est interrogé sur la réalité du quotidien du designer et a questionné son rôle par rapport aux inventions.
Si l'inventeur a pour habitude de travailler sur les parties d'une oeuvre - une chaîne de vélo, par exemple -, sans se soucier d'esthétique, le designer, quant à lui, crée principalement autour des formes. Cette différence entre invention et design est montrée dès la première salle de l'exposition "Invention / Design. Regards croisés" avec la mise en parallèle de l'ensemble chaîne-pédalier-moyeu, qui sert de base à un vélo, et d'une série de bicyclettes ayant chacune une esthétique ou un usage bien différents, selon que l'approche est liée à la performance (rouler vite), à la fonctionnalité (porter de lourdes charges) ou au style (être esthétique et beau).
Etonnamment vide, la deuxième salle de l'exposition nous interpelle et montre que le design n'intervient pas que sur l'esthétique, mais aussi sur la perception. Celle des sons, par exemple, diffusés dans cette salle : une annonce SNCF, le bruit du claquement de porte d'une voiture... ces sons du quotidien, qui nous paraissent anodins, sont pourtant très travaillés par des équipes de designers.
L'exposition est axée autour de séries d'objets, de la cocotte-minute aux ampoules en passant par les machines à écrire. A travers la présentation d'une série d'autocuiseurs, les Sismo montrent que la marmite de Denis Papin avait dès 1679 tous les codes de l'ustensile fonctionnel qu'on lui connaît aujourd'hui (bras, soupape, corps en monomatière et capacité à résister à une forte pression). Et ce, malgré un changement de design avéré depuis le XVIIe siècle. Une évolution esthétique allant même jusqu'à la personnalisation de la cocotte-minute avec des autocollants (projet Pumpipumpe, 2012) ou à une version connectée grâce à une application (autocuiseur Nutricook Connect de Seb).
Autre série présentée, celle des ampoules, dont le design initial en forme de bulbe n'a pas changé depuis leur invention, malgré les évolutions techniques : une ampoule LED a toujours la même forme incontournable qu'un modèle à incandescence. Seule une réelle rupture technologique - une invention donc - changera la façon dont le designer va travailler sur l'objet ampoule. C'est le cas avec les OLEDs pouvant évoluer en surfaces lumineuses dans les mains du designer.
Au-delà des séries d'objets, l'exposition "Invention / Design. Regards croisés" met en avant quatre notions présentes dans le design : la curiosité, l'audace, le respect du contexte et l'essentiel. Avec, pour les illustrer, des créations bien spécifiques. Un collectif de quatre designers et ingénieurs (Emile de Visscher, Audrey Gaulard, Christophe Machet et Nick Paget) a par exemple fait preuve de curiosité en créant une machine reprenant le principe de la fabrication de la barbe à papa (The Polyfloss Factory) : dans un souci de récupération vertueuse, cet engin, conçu en partie pour être en open source, permet de recycler les bouteilles en plastique et de créer un nouveau matériau, une fibre non tissée, sorte de laine de plastique, qui peut être utilisée pour l'isolation et le rembourrage, ou filée pour la confection de textiles.
Tenir compte du contexte géographique, culturel, social ou technique fait partie du rôle du designer. Il conçoit ainsi des objets et élabore des projets en adéquation avec les attentes de la société. Témoin, le projet Mine Kafon du designer afghan Massoud Hassani qui répond à une problématique de pays en guerre : cet objet de 70 kilos et de près de 2 mètres de diamètre est un détonateur de mines fonctionnant à l'énergie éolienne. De forme ronde, en bambou et plastique biodégradable, il avance au gré des coups de vent et permet de faire exploser les mines actives qu'il rencontre sur son passage.
Le rôle du designer et de l'inventeur est aussi de questionner les usages en faisant preuve d'audace. Dans cette partie de l'exposition, une vidéo dévoile un projet de pont qui, pour relier les deux rives d'un cours d'eau, se déroule et s'enroule comme la queue d'un scorpion en fonction des besoins des usagers, sur terre et sur l'eau. Autre projet audacieux présenté, celui de César Harada qui a imaginé Protei, un système complet pour dépolluer les océans, notamment en cas de marées noires : des drônes marins, accessibles en open source, peuvent être fabriqués par tout un chacun et accrochés en chaîne pour former un cordon autour d'une nappe de pétrole.
A travers la centaine d'objets exposés, l'exposition des Sismo définit le rôle du designer : trait d'union entre la technique (de l'inventeur) et le savoir-faire (de l'artisan), c'est un chef d'orchestre qui dialogue avec les usagers en fonction de leurs besoins. Il est dans la recherche de l'usage. Et pas seulement de l'esthétique. Ainsi, selon Antoine Fenoglio, "une pièce de design belle et réussie est avant tout intelligente. C'est ce qui en fera quelque chose de beau". Le design du XXIe siècle tend alors à estomper la conception du beau au profit du collaboratif et de l'intelligence. Pour un quotidien toujours amélioré.
- Où ? Au Musée des arts et métiers, 60 rue Réaumur, 75003 Paris.
- Quand ? Jusqu'au 6 mars 2016, du mardi au dimanche (inclus), de 10h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu'à 21h30.
- Sites : www.arts-et-metiers.net - www.sismodesign.com