A tout juste 30 ans, le Français Ora Ito est déjà LA star sur la scène
internationale du design. Après avoir osé la toute première marque virtuelle
en proposant des prototypes à partir de logos de grandes marques, ce petit
audacieux a désormais tout d'un grand. Il a réalisé son rêve
le plus cher : créer sa propre marque. Bien réelle cette fois-ci. Questions
au jeune prodige.
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Ora Ito
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"Je cherche toujours à surprendre et à être
là où on ne m'attend pas" |
En quelques mots, quel a été votre parcours ? Qu'est-ce
qui vous a conduit vers la voie du design ?
Depuis que je suis jeune, je rêve de créer ma propre marque.
J'ai vécu mon enfance dans un environnement artistique où j'ai appris que
tout était possible si l'on se donnait corps et âme à ses objectifs. Dès
que j'ai atteint l'âge de raison, je savais que l'art d'une manière générale
était ma passion. Je suis entré en touriste à l'école Créapole,
je n'y suis resté que quelques mois : juste assez pour apprendre que je ferais
mieux de me jeter dans le bain directement plutôt que de suivre les années
d'études qui m'attendaient si je ne m'étais pas dit un jour : "sans
bagage on court plus vite". Dès le premier prétexte, j'ai quitté l'école
pour voler de mes propres ailes... Je m'y sentais un peu comme un oiseau
en cage.
Racontez-nous cette aventure "virtuelle" lorsque vous
proposiez des prototypes à partir de logos de grandes marques. Quel était
l'objectif ? Qu'est-ce que cela vous a apporté ?
A l'époque, je n'avais pas d'argent pour fabriquer en vrai
les produits que je dessinais. Ainsi est née l'idée d'en faire des prototypes
virtuels en utilisant l'imagerie 3D pour développer des produits et ce, dans
tous les secteurs. L'idée de devenir la toute première marque virtuelle m'a
amusé et par la suite, a fasciné rapidement les journalistes les plus "underground".
Cela a fait un effet boule de neige autour de créations que seuls les yeux
pouvaient toucher.
Quel a été le réel point de départ de votre carrière ?
Dès les premiers concepts virtuels, j'ai pour moi,
commencé à bâtir les ferments d'une toute nouvelle marque de design capable
de signer aussi bien une machine à laver qu'une paire d'escarpins. Une marque
balayant tous les secteurs d'activité pour créer des objets harmonieux aux
fonctions diverses. Depuis mes premiers pas, je construis cet univers de
marque. Je l'avais d'ailleurs déjà initié avant même l'édition du moindre
produit grâce au label virtuel, qui a été acquis par le fonds du Centre Georges
Pompidou comme la seconde uvre numérique française à rentrer dans la
patrimoine des Musées.
Votre nom civil est Ito Morabito. Pourquoi avoir choisir
un pseudo ?
Pour trois raisons : la première, c'est que je n'ai jamais
souhaité utiliser ni les relations, ni l'argent de quiconque dans ma famille
pour créer ORA-ITO car je me suis construit tout seul sans demander aucune
aide. La seconde, c'est que ce que je fais n'a rien à voir avec les créations
de mon père (le designer Pascal Morabito) ou de ma tante bien que je les
admire tous deux comme de vrais artistes. Donc je ne souhaite pas qu'il y
ait de confusion dans l'esprit des gens. Enfin, c'est qu'être le fils
de quelqu'un de connu vous dessert prodigieusement dans l'univers de la création
parce que les gens adorent coller des étiquettes. Et dire que je m'appelle
Morabito peut laisser croire que je ne suis là que grâce à la notoriété de
ma famille. Or, il n'en a jamais été question. J'ai toujours voulu avoir
une indépendance totale vis-à-vis de mon père surtout, qui est un grand génie...
Mais je n'ai jamais eu l'idée de marcher sur ses plate-bandes car je souhaitais
faire mon propre chemin. C'est pourquoi cela me gêne lorsque l'on me pose
la question. La famille et le travail de créateur que je fais ne sont pas
liés. Même si j'ai baigné dans un univers culturel enrichissant, je ne suis
pas un "fils à papa" à qui tout est arrivé tout cuit dans la bouche...
J'ai galéré dans une chambre de bonne où on bossait à 3 dans 8 m² aux
balbutiements d'ORA-ITO. Et que l'on imagine que mon parcours était pavé
de diamants m'irrite.
Vous avez été très vite et surtout très jeune, projeté
sur le devant de la scène dans le milieu du design. Comment l'avez-vous vécu
?
Avec le plus grand des bonheurs car j'en ai rêvé toute
ma vie. Avec des doutes aussi qui permettent d'ailleurs de me remettre sans
cesse en question. Ma jeunesse a été un atout pour moi car j'ai abordé des
thématiques que n'abordent habituellement les designers ou les architectes
qui ont passé les 50 ans... J'ai commencé à designer des produits pour le
grand public alors que je n'avais que 20 ans. Cela m'a offert une liberté
folle comme les piratages par exemple. Comme je débutais en tant qu'artiste
sur la scène internationale, je n'avais pratiquement rien à perdre à faire
les 400 coups tandis qu'un créateur établi se doit de veiller au bon déroulement
de sa carrière, de son entreprise. Les designers aujourd'hui, pour pouvoir
travailler, doivent s'entourer de plusieurs équipes indispensables afin de
produire de nouveaux projets. Je ne pourrais certainement pas faire aujourd'hui
ce que j'ai fait à 20 ans. Mais comme je suis un peu fou, rien n'est
moins sûr !
Comment définissez-vous votre style ?
Ce n'est pas à moi de définir mon style, les rédactrices
de mode ont parlé d'un mix de minimalisme japonais et d'élégance à la française.
Moi, je parlerais plutôt de "simplexité". C'est l'art de rendre
un aspect simple à un ensemble de contraintes ou de fonctions compliquées.
C'est la fonctionnalité qui guide la forme. J'essaie toujours d'épurer au
maximum mes créations afin qu'elles puissent être comprises d'un seul coup
d'il. Je cherche également à provoquer des émotions en jouant sur les sens
pour rendre mes produits plus charnels, afin que les consommateurs se les
approprient.
Que cherchez-vous à mettre en avant dans vos créations
? Quel est le fil rouge ?
Leur simplicité, leur évidence et leur originalité. Quand
on m'a demandé de dessiner une petite bouteille d'eau pour Ogo,
je me suis rendu compte que toutes les petites bouteilles d'eau étaient des
réductions de grandes, elles-mêmes toutes à peu près semblables : cylindriques
et verticales. J'ai donc décidé d'aller à contre-chemin pour imaginer une
bouteille toute ronde, toute simple mais qui devenait un véritable objet
de curiosité à côté des autres. Je cherche toujours à surprendre et à être
là où on ne m'attend pas. Je peux faire une cuillère pour Danone un jour
et le lendemain, travailler sur un concept très élitiste pour Guerlain.
Quelle est votre valeur ajoutée par rapport à ce qui se
fait déjà ? En quoi pensez-vous et souhaitez-vous, vous démarquer dans vos
créations ? Vous n'êtes pas particulièrement sensible aux "phénomènes" de
mode
Je cherche à créer des produits simples, universels et
intemporels. Mon rêve serait qu'ils deviennent aussi transgénérationnels
pour faire partie du patrimoine culturel des gens et des vrais gens, pas
seulement un cercle restreint d'amateurs fortunés... Bien que je les aime
aussi, car ils font vivre les designers. Mais j'aspire à rendre le design
démocratique et à le faire descendre dans les supermarchés pour que tout
le monde puisse y avoir accès. Mademoiselle Chanel disait : "la mode c'est
ce qui se démode". Aussi, il est vrai que je m'affranchis totalement de toute
notion de mode ; je m'intéresse plus globalement à ce qu'il y a de nouveau.
Que cela soit à la mode me gêne plus qu'autre chose. En fait, cela me limite
dans ma démarche d'ingénuité sur le territoire auquel je m'attache tour à
tour, en posant à chaque fois un regard neuf.
Quelle est votre définition du design ?
Le design consiste à produire des objets qui vont rendre
le quotidien des utilisateurs différent, nouveau, original... En bien ou
en mal d'ailleurs !
D'où vous vient toute cette inspiration et cette originalité
?
De mes rêves d'enfance comme beaucoup d'artistes et j'étais
un petit garçon très rêveur entouré par une famille aimante et très rêveuse
elle aussi. Donc pour moi, le rêve fait partie du réel. Je les assouvis au
fur et à mesure de ma vie.
Avez-vous des références et des exemples de créateurs
dans le milieu, qui sont pour vous, des modèles et une véritable source d'inspiration
?
Je suis un fan des artistes qui, dans les années 1970,
ont imaginé le monde que nous vivons aujourd'hui. Des réalisateurs de "2001
: l'odyssée de l'espace" aux couturiers tels Courrèges, ou des architectes
comme André Bruyère pour son côté organique, m'ont toujours fait rêver. Je
suis aussi un fan éperdu de la légende vivante qu'est Oscar Niemeyer. Mon
rêve serait qu'il me passe le flambeau en me disant : fais ce que moi je
n'ai pas eu le temps de faire. Sans plaisanter, je rêverais de concevoir
une ville entière comme celle de Brasilia. Je trouve son travail et son regard
sur l'architecture et les volumes, tout simplement fascinants de douceur
et de force, de rondeurs et d'angles secs... C'est un monstre de génie.
"Je ne suis pas sectaire et j'adore créer
à chaque fois une nouvelle surprise" |
A quoi ressemble la maison ou l'appart d'Ora Ito ? Que
privilégiez-vous comme produits ?
Il ne ressemble à rien car vous savez, les cordonniers
sont les plus mal chaussés ! Il ne me correspond vraiment pas. Je viens de
déménager dans un nouvel appartement qui ne me ressemble toujours pas mais
qui a un mobilier intégré de Charlotte Perriand, ce qui compense le fait
que le reste de l'appartement est à l'opposé de mon style. Je n'ai pas le
temps de m'en occuper bien que mon manager me répète que c'est indispensable
pour moi de vivre dans un espace à mon image... Je prendrai un jour le temps
de m'en occuper vraiment et ce jour-là, je privilégierai la simplicité des
volumes et des équipements. Ensuite, je m'attacherai aux surfaces, à leur
rendu, leur texture, leur couleur, leur toucher, chaud ou froid, brillant
ou mat. J'adore les matériaux nouveaux et les dernières technologies.
Téléphones, bouteilles de bière, boîte de nuit
Vous uvrez
dans des domaines très variés. Existe-t-il des projets que vous n'acceptez
pas mais également d'autres secteurs que vous souhaiteriez explorer
?
J'ai la chance de pouvoir choisir les projets qui m'intéressent
parmi les différentes propositions que l'on peut me faire chaque jour : faire
un séminaire à Dubaï, prendre un brief en Slovénie, designer un trophée pour
une chaîne de télé ou concevoir un hôtel... Il faut forcément faire un tri,
autrement nous devrions être une équipe immense et cela deviendrait industriel.
Je tiens à garder une équipe restreinte aux meilleurs spécialistes dans chaque
domaine, avec lesquels je travaille depuis mes débuts. J'ai besoin de pouvoir
suivre les projets et de connaître au moins les prénoms des gens qui travaillent
sur les différents projets. Parfois, la demande d'un client est tellement
énorme que je suis obligé de faire venir au studio des équipes supplémentaires.
Le nombre de personnes s'ajuste ainsi en fonction du volume des projets mais
l'équipe de base reste toujours la même. J'ai la chance de pouvoir dire non
lorsque je ne partage pas les valeurs de la marque en question ou que je
sens que je n'aurais pas vraiment la possibilité de m'exprimer dans le cadre
du projet que l'on me confie. Il est vrai aussi qu'il y a des projets plus
excitants que d'autres... Entre travailler pour Shiseido ou pour du pâté
en croûte, cela n'a pas vraiment le même impact sur les gens. Bien que designer
du pâté en croûte pourrait aussi m'amuser ! Je ne suis pas sectaire
et j'adore être là où l'on ne m'attend pas pour pouvoir créer à chaque fois
une nouvelle surprise.
Faites-nous part de vos projets et de votre actualité.
Mes projets sont très diversifiés et c'est ce qui me plaît
d'ailleurs. Je travaille à la fois sur un projet d'hôtel, un autre d'urbanisme,
un site Internet révolutionnaire. Je crée également une nouvelle marque de
cosmétique de luxe pour un grand groupe. Je participe aussi à de nombreux
projets à caractère caritatif où je prends plaisir à offrir mes créations
dans le but d'aider les plus démunis lors de ventes aux enchères ou d'événements
auxquels je participe le plus régulièrement possible. Dans quelques jours,
je vais me rendre à la Foire d'Art Basel à Miami. En parallèle, je développe
des accessoires de mode et des objets usuels dans de nombreux univers très
variés. Par ailleurs, je vais à la rencontre des jeunes et des étudiants
lors de conférences et de séminaires où j'explique mon parcours. Je participe
à des jurys pour des concours de jeunes designers. Bref, je suis un garçon
plutôt occupé qui passe un temps fou dans l'avion mais qui vit son métier
comme une véritable passion 24h/24.
Ses créations en images
En savoir plus www.ora-ito.com